Chronique du royaume de France en l’an 2021, par le Sieur Olivier Bertrand de Saint-Vallier, historiographe, abstracteur de quintessence publiciste.
Le mois de juin traînait en longueur. On était à peine à la moitié qu’on avait déjà l’impression que l’été avait commencé. On se rêvait à la campagne, à jouer à la belote dans le soleil couchant, un verre de pastis à la main.
Pourtant juillet n’était pas encore là, et, avant de rêver de carton, il restait deux affaires à régler.
La première était une tradition gauloise qui semblait éternelle et qui n’avait pourtant que deux siècles : le baccalauréat.
O tempora, o mores, ô épreuve initiatique d’entrée dans la vie adulte.
Baccalauréat adulé, baccalauréat honni, baccalauréat qui avait survécu à toutes les réformes. Il avait changé cent fois, mais il était toujours là, fier, hautain, sûr de sa légitimité. Sans lui, quelque chose de la douce France s’écroulerait.
Il avait été de toutes les ères : impérialiste, royaliste, républicain. Il avait été de toutes les catégories : élitiste, bourgeois, démocratique. Il avait été oral, il avait été écrit, il avait été hors d’atteinte, il avait été distribué à pleines brassées : il avait été et il était toujours.
Toujours, derrière cent atours patiemment décousus et raccommodés, il restait en majesté devant chaque génération qui venait s’incliner devant lui.
Le bac 2021 était un grand cru, au moins équivalent à celui de 1968 en terme de qualité et d’effort requis pour l’obtenir. C’est bien simple : il était tellement difficile, qu’on s’attendait à des résultats dignes d’élections de républiques bananières, entre 98 et 99 %.
Quelques heures avant le début des réjouissances, on vit apparaître sur une chaîne YouTube confidentielle (Education France officiel, 28 000 abonnés), un homme perplexe, aux lunettes rondes, et au nœud de cravate pas tout à fait droit. On apprit que c’était le ministre, Jean-Mimi Blanquer, qui était devenu une véritable star sur TikTok après un concours de marelle mirobolant. Voilà qu’il venait « tout simplement » présenter ses « vœux de réussite ». Il essaya de rassurer les troupes : « il est normal que vous ressentiez un petit peu d’appréhension avant l’épreuve ». Et il ajouta, sur le ton de la confidence : « le jury est là pour vous faire réussir, pas pour vous piéger ».
Il avait raison de prendre la parole : les élèves tremblaient depuis des semaines en pensant à ces épreuves, car cette année, la règle était impitoyable. La peste coronale avait bouleversé les lycées et l’on avait dû suivre une partie de l’année par ordinateur interposé, une fenêtre ouverte sur le cours, une autre sur Nextflix, une autre sur Instagram et une dernière sur Twitter. Cette année donc, on compterait les points de façon très sévère. Une fois l’épreuve passée, on comparerait la note obtenue avec la moyenne de l’année, et on retiendrait la meilleure des deux. Dure loi d’airain qui terrifiait les pauvres bambins.
Chaque année le baccalauréat commençait par l’épreuve reine : la philosophie. On demandait aux petits Français de faire ainsi la démonstration de leur attachement au saint patron local, le sire Descartes. Devenir adulte, c’était montrer son art de la dialectique. Finir ses études du second degré, c’était être capable de disserter sur n’importe quel sujet, d’un ton docte, en ajoutant quelques citations idoines.
Cette année, on posa à plus de sept cent mille élèves trois questions : « Discuter, est-ce renoncer à la violence ? », « L’inconscient échappe-t-il à toute forme de connaissance ? » et « Sommes-nous responsable de l’avenir ? ».
On livra rapidement les corrigés. Les réponses étaient les suivantes : « Oui », « non » et « certes », mais pas nécessairement dans cet ordre.
On interrogea des élèves au sortir de l’épreuve pour savoir comment ça s’était passé. On lisait l’angoisse dans leurs jeunes yeux, plein d’incertitude quant à savoir si ils pourraient continuer leur scolarité normalement ou si la peste coronale aurait été plus forte.
Premier élève : « Comme on sait que c’est en contrôle continu, on avait moins de pression ». Deuxième élève : « Je n’ai pas du tout révisé étant donné que j’ai eu une bonne note de contrôle continu. Et j’ai eu un sujet qui nécessitait très peu de références philosophiques ». Un troisième élève, philosophe, conclut : « Soit ça passe, soit ça casse ».
Le message de Jean-Mimi Blanquer avait été entendu ; les élèves avaient été rassurés. On fut ravi de voir que le bac avait encore une signification.
L’épreuve de philosophie achevée, on passa à la seconde affaire qu’il fallait évacuer presto presto avant de pouvoir partir en vacances en bord de mer afin d’attraper quelques bons coups de soleil et oublier pendant quelques jours cette fichue peste coronale.
Il allait falloir voter.
Voter ? Encore ? N’avait-on pas déjà voté l’année dernière ?
Le citoyen lambda était circonspect lorsqu’il entendait le mot d’élection et commençait à se demander si il n’y avait pas une certaine entourloupe. On n’arrivait pas à lui ôter le sentiment que, peut-être, on se fichait un peu de sa tête. Ce sentiment, diffus, datait de 2005, date à laquelle on lui avait posé une question claire, à laquelle il avait répondu de façon toute aussi claire, avant de se rendre compte, avec stupeur, que, deux ans plus tard, on faisait strictement l’inverse sans qu’il ne put rien y faire.
Misère et décadence du citoyen à qui l’on demandait son avis régulièrement pour s’assurer que l’on ne suivrait pas son opinion. Le citoyen avait fini par comprendre, et décida que certains dimanches électoraux, il irait plutôt à la pêche. Quitte à être pris pour une truite, autant qu’elle fut au bout de sa ligne.
Ainsi donc on s’était abstenu de voter aux législatives (en 2017), puis on s’était abstenu de voter aux Européennes (en 2019), avant de s’abstenir de voter aux municipales (en 2020). Il allait maintenant s’agir de s’abstenir de voter aux régionales.
Aux régionales ? demanda le citoyen esbaudit.
Aux régionales et aux départementales, petit scarabée.
La région était une invention récente qui avait à peine quarante ans. On avait patiemment ré-assemblés les départements pour revenir aux provinces de l’ancien temps, à ceci près qu’on avait pris soin de les recoller dans n’importe quel ordre. Mise à part la Normandie qui avait enfin été réunifiée, les autres provinces s’en trouvaient fort marries. On avait par exemple rapiécé Toulouse avec Montpellier, sous le regard suspicieux des deux cités qui, depuis des temps reculés se pensaient rivales. On avait également, par un trait de crayon jaillissant, collé dans la même case Pau et Limoges, qui, bien qu’étant du même sud ouest, se trouvaient aussi éloignées que Lyon de l’Alsace. Alsace, qui, d’ailleurs, regardait d’un bien mauvais œil son mariage forcé avec d’autres régions. Qui était l’idiot qui avait voulu assembler Champagne et Gewurztraminer ?
A la tête de ces « super » régions, on avait placé des seigneurs qui accumulaient patiemment les recettes et les pouvoirs. Le domaine royal, autour de Paris, était le plus disputé, mais d’autre régions faisaient parler d’elles. On prenait de grands airs et on feignait de craindre la percée de la droite bleu foncée. Le président, dont le parti risquait de faire un score négatif, s’agitait dans les provinces, serrant les mains, esquivant les baffes, en répétant que quoi qu’il arrive, la trajectoire continuerait. C’était bien ce qu’on lui reprochait.
Les régions, en plus d’avoir du talent, avaient des pouvoirs considérables et un rôle capital dans la vie de leurs administrés. Elle s’occupaient par exemple des transports et faisaient ainsi la démonstration, tous les jours, aux usagers ravis, de l’efficacité de l’état dès lors qu’il s’emparait d’un dossier. Elles s’occupaient également des lycées, mais pas des collèges, ni des écoles. Pourquoi ? Parce qu’on avait tiré au sort et que les collèges avaient échu au département, qui voulait continuer à avoir sa part du mille feuille.
Et les départements, à quoi servaient-ils ? A être le réceptacle des fruits de la péréquation bien sûr.
Devant des institutions aussi importantes, devant des enjeux aussi colossaux, on s’attendait à une participation magnifique : certains partis avaient déjà mis le mousseux au frais.
Et voilà que le dimanche se déroula mollement, et que, une fois les bureaux de vote fermés, on constata le taux d’abstention : 66,35 %.
Stupeur sur les plateaux. Tremblements des politiques. Certains eurent des crises de spasmophilie. D’autres se mirent hoqueter, et à répéter des chiffres pour se donner des airs de victoire. D’autres encore, expliquèrent que leurs électeurs étaient des fainéants, que si ils s’étaient déplacés ils seraient arrivés en tête, et qu’il ne fallait pas être sorti de l’X pour comprendre ça. Fainéants et stupides, donc.
Le premier tour se termina donc dans un brouhaha incompréhensible où chacun essayait d’expliquer pourquoi, alors que les chiffres étaient très mauvais, c’était en réalité très bon pour son parti.
Le seul vainqueur était le citoyen abstenu, qui, pour une fois avait eu le dernier mot. Il restait encore un tour avant les vacances ; le pastis allait devoir attendre.
(A suivre…)