Ep. 13 La Farce de Maître Tatin

Chroniques du royaume de France en l’an 2021, par le sieur Olivier Bertrand de Saint Vallier, historiographe, abstracteur de quintessence publiciste.

Le mois de juin commença par le bruit incessant des balles qui battaient la terre. A Paris, près des serres d’Auteuil qu’un ancien premier ministre avait voulu détruire, on pratiquait le jeu de paume.

C’était l’un des rares sports nationaux à avoir convaincu le reste du monde. Ailleurs, c’était les jeux anglois qui s’étaient imposés. Que l’on joue à balle de pied, à la balle de panier, à la balle de volée, tout le monde continuait les pratiques de l’empire britannique. Celui-ci s’était morcelé depuis longtemps, mais son souvenir restait présent et le soleil ne se couchait jamais sur les terres où l’on continuait à pratiquer ses rites, sa culture, sa langue.

Comme en leur habitude, les Français avaient été vite éliminés, ce qui n’empêcha pas de continuer à regarder les balles rebondir, tant on était heureux, et avide, de retrouver quelques uns de ces rites qui ponctuent l’année du pays.

Et voilà que dimanche revint, et, avec lui, les interviews politiques. Deux semaines étaient passées depuis que le cadre fougueux du parti républicain avait demandé une justice d’exception. On s’ennuyait un peu. On invita donc un tribun qui avait été fort couru les années passées, et dont le verbe haut ne manquait jamais de résonner à travers les mille plateaux dans lesquels il errait.

Le tribun était en perte de vitesse. La mayonnaise ne prenait plus. Il avait beau casser les œufs à tout le monde, agiter les bras comme de grands moulinets et s’entourer des meilleures huiles de la tendance mondialiste, quelque chose n’embrayait plus comme avant.

Il faut dire qu’il avait épousé les idées du temps avec un enthousiasme un peu trop virulent. Lui qui venait de la gauche traditionnelle française, laïque, républicaine et attachée à l’éducation, s’était soudain mué en thuriféraire des idées les plus saugrenues du temps.

François Furet avait l’habitude de distinguer deux temps dans la révolution française. De 1789 à 1792, et l’après. La première période : celle des droits, des réformes, du peuple qui arrive à maturité. La seconde : la mort du roi, les massacres de septembre, la terreur, la destruction des vendéens. La première : Thomas Paine. La déclaration universelle des droits de l’homme et du citoyen. La seconde : Burke. La furie destructrice. La première : Lafayette, héros de l’Amérique, la seconde : Robespierre, maniaque du couperet.

Voilà que notre orateur était passé de la première à la seconde en quelques années. Il s’était mis à exalter Robespierre, n’hésitait pas à faire preuve de fureur sacrée en hurlant sur ceux qui se mettaient sur sa route et justifiait même, dans les défilés, la présence de pantins mimant le président décapité.

Le tribun s’était présenté à la présidentielle de 2017. Il avait loupé l’accession au second tour de peu. Il ne s’en était jamais remis. Depuis, il ruminait une vengeance. Il lui fallait plus de voix. Et voilà qu’était arrivé en France une nouvelle idéologie prête à l’emploi. Bien sûr, il fallait fermer les yeux sur le fait qu’elle était importée des États Unis, pays conspué par un homme qui admirait plutôt Castro et Chavez, mais l’occasion était trop belle. C’était controversé, ça permettait de faire passer le camp adverse pour des vieux cons racistes, et ça parlait à toute frange de l’électorat que personne n’osait draguer ouvertement au niveau national (au niveau local, cela faisait longtemps que ce n’était plus le cas).

Joie ! Merveille ! Enthousiasme !

Le tribun s’était converti à la nouvelle religion. Il en épousa le vocabulaire, les codes, et les sous-entendus. On allait voir ce qu’on allait voir !

On avait vu.

Ce dimanche de juin, le tribun fut invité sur l’un de ces plateaux qu’il critiquait par ailleurs abondamment.

On l’interrogea, il répondit. On le poussa, il réagit. On le moqua, il s’esbaudit.

Et puis au détour d’une question, il se lança dans une tirade dont on discuta longtemps pour savoir si il l’avait préparée ou si il l’avait improvisée.

Un instant, le tribun se mua en prophète.

« Vous verrez, dit-il, que dans la dernière semaine de la campagne présidentielle, nous aurons un grave incident, ou un meurtre. »

Il leva le bras (gauche) et précisa sa pensée :

« Ça a été Merah en 2012. »

(Bras gauche baissé, bras droit levé)

« Ça a été l’attentat la dernière semaine sur les Champs Elysées. »

(Bras sur la table)

« Vous vous rappelez de tout ça? Avant on avait eu Papy Voise, dont personne n’a jamais entendu parler après. Tout ça, c’est écrit d’avance. »

(Bras qui montent et descendent comme un sémaphore).

Gène dans l’auditoire. On était pas sûr d’avoir vraiment compris ce qu’il voulait dire. On fronça les sourcils. Qui faisait quoi dans cette histoire ? Les médias avaient monté en épingle ces événements ? Le gouvernement avait ourdi un complot ? Le « système », l’ « oligarchie » était derrière ?

Quelque soit l’hypothèse qu’on retenait, on arrivait à la conclusion que le tribun était soit très, très fatigué, soit très, très complotiste.

Vu le buzz négatif qui s’en suivit, le tribun, qui n’était pas sot, dut se rendre compte de sa bêtise. Il convoqua aussitôt une conférence de presse. Il apparut derrière un pupitre, la voix blanche mais la cravate rouge.

« J’ai choisi ce moyen pour m’adresser à vous car je n’en ai aucun autre. »

Après avoir prophétisé, il devenait lanceur d’alerte. Le problème ? D’après lui, une vidéo YouTube appelait au meurtre des électeurs de son parti ainsi que de lui-même : l’extrême droite en action.

Renseignements pris, la vidéo n’appelait pas au meurtre, ni au sien, ni à celui de quiconque dans son parti, le ménestrel responsable le disant même plusieurs fois explicitement. Le tribun s’en moquait : il avait détourné l’attention et comptait sur le prochain événement pour chasser sa bourde.

Celui-ci arriva très vite.

Le jour même de la conférence de presse, sa présidentialité était en déplacement dans le sud de la France, dans une riante petite bourgade du nom de Tain.

Attention : il convenait de préciser qu’il n’était pas en campagne. L’eût-il été qu’il aurait dû suivre un certain nombre de règles très précises, en particulier financières. Nenni, le président était simplement en vadrouille, pour aller à la rencontre des vrais Français, en leurs territoires, afin de prendre le pouls du pays et de préparer la dernière année de son premier mandat. Avait-il dit « premier » ? Lapsus. Il voulait dire « mandatoutcourt ».

Le président fut surpris de voir la foule. Il s’attendait à une foule compacte, enfiévrée, comme dans les vidéos que son équipe de communication partageait en leur habitude. Or ce jour-là il n’y avait que quatre pelés, deux tondus et un barbu aux longs cheveux.

Ça faisait peu, mais le président voulait prendre le pouls et il n’était pas homme à reculer. Il s’avança, il courut même, en direction de ces braves quidams venus l’acclamer. Grand moment de réunion, après un an de ce virus fou qui avait interdit toutes les marques d’affections qu’un peuple pouvait porter à son souverain.

Le président s’élança comme dans un film. Il eût suffit d’un ralenti et d’une musique un peu lancinante pour aussitôt évoquer les grandes scènes de retrouvailles amoureuses du septième art. Parce que c’était elle, parce que c’était lui : la France et le président. Chabadabada.

Il avait néanmoins oublié que les Français, pour en être réfractaires, n’en étaient pas moins gaulois, et que, comme le montrait tout bon album d’Astérix, ils entretenaient deux passions : les banquets et la bagarre. Les premiers ayant été interdits pendant près d’un an, ils avaient ruminé la seconde un peu trop longtemps.

Le président s’approcha et commença à serrer les mains, ravi. Et voilà qu’un gueux cria « Montjoie ! Saint-Denis » avant de coller une baffe à sa présidentialité.

En réalité il l’avait à peine effleuré, mais on préféra le raconter ainsi : ça faisait plus dramatique. Le président fut saisi au vol par un garde du corps et fut extrait en deux mouvements d’arts martiaux, pendant que ses collègues tombaient à bras raccourcis sur le gaulois marri.

Le sang présidentiel, bien que de navet, ne fit qu’un tour et il se rua à nouveau vers son assaillant, espérant lui en coller une en retour. Il n’avait jamais autant montré son attachement aux us françaises. Pendant quelques heures, le village gaulois fut de retour sur toutes les chaines.

(A suivre…)

Image : La Farce de Maitre Pathelin, Domaine public, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=726930

Publié par Olivier F. Delasalle

Ecrivain. Cosmopolite enraciné. Gascon hébraïsant.

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