Chronique du royaume de France en l’an 2021, par le Sieur Olivier Bertrand de Saint Vallier, historiographe, abstracteur de quintessence publiciste.
Le mois de mai était traditionnellement, dans le royaume, une époque de flânerie. Les jours chômés s’enchaînaient, et, le temps devenant de plus en plus clément, les excursions à la campagne devenaient l’activité favorite des citadins. Paris se vidait de toute sa substance et on laissait les stagiaires se charger aux manettes pour les affaires courantes. Le mois de mai était la préface de la saison estivale.
Les partis politiques n’étaient pas en reste. Seules les figures mineures restaient en la capitale, afin de donner l’impression que quelqu’un tenait encore le fort et afin d’éviter qu’un ennemi un peu trop empressé n’envahisse les lieux.
Il y avait un rebut de parti, à droite, qu’on appelait républicains. Il n’était plus que la trace d’une ombre. La maison ne tenait que par quelques notables qui se faisaient élire en province par la seule force de l’inertie électorale. Il ne proposait ni idées, ni projet, ni valeurs. Il ronronnait tranquillement afin de servir à rembourser des frais de campagne et pour donner au parti de sa présidentialité des réserves de voix lors du second tour des futures présidentielles, lorsqu’il faudrait se dresser, le drapeau tricolore à la main, contre le fascisme et crier, en français dans le texte, no passarane !
Or donc, le dimanche était le jour des interviews politiques. Les Français allaient à la messe le matin, à la boulangerie le midi et ouvraient la radio en fin d’après midi, distraitement, afin de se préparer à revenir au travail le lendemain et de se remettre doucement d’un congé de fin de semaine indolent.
Ce dimanche là, on avait invité un cadre du parti. On ignorait au demeurant qu’il en existât. Le jeune homme bouillait. Il voulait exister ! Il voulait qu’on le regarde ! Qu’on l’écoute ! Qu’on lui demande son avis ! Lui n’était pas comme ces sénateurs de province dans leurs petits costumes gris : il avait de l’envergure, il était au comité national, il allait leur montrer !
Il leur montra. On lui posa une question sur la justice. Emporté par sa verve, oubliant les fiches préparées par son assistant parlementaire, il s’indigna et évoqua une nouvelle institution qui allait tout changer.
« Cette cour de sûreté permettrait d’échapper à cette hyper judiciarisation. »
Une pause.
« L’idée, c’est de créer une justice exceptionnelle, sans appel possible. »
Aussitôt, on défaillit dans les chaumières. On s’étrangla dans les prétoires. On suffoqua dans les couloirs du studio d’enregistrement.
Pris par l’inertie de son raisonnement, il continua : « si le conseil constitutionnel s’y oppose, on proposerait ça par référendum. »
Il interrogea : « la constitution a été changée combien de fois depuis 1958 ? » et répondit aussitôt, en bon élève qui connaissait ses fiches : « de très nombreuses fois ».
Il conclut : « ce qui compte demain, c’est de rétablir l’autorité de l’état, de protéger les plus fragiles et les plus vulnérables ».
Le réalisateur de l’émission coupa aussitôt pour montrer l’air affligé du publiciste, qui se sentait soudain très fatigué. On lui avait pourtant proposé d’aller à Cabourg pour le week-end comme tout le monde, et sottement il avait dit non : il avait préféré venir au travail, préparer ses questions et s’entretenir avec une des huiles de la droite française. Et voilà que l’huile avait tourné au vinaigre et qu’il restait encore dix minutes avant la fin de l’émission. Ça allait être long, très long, et très pénible.
La voix du cadre ne porta pas longtemps : quelques jours plus tard, on avait oublié jusqu’à son nom. Le parti se remit à ronronner.
Pendant ce temps, un autre publiciste piaffait.
Il était pour ainsi dire le chef de file des souverainistes conservateurs. Il tenait salon tous les soirs, sur une chaîne d’information, et affectait de donner son avis sur tout. Il avait commencé comme éditorialiste : il n’y avait donc pas un sujet qu’il ne connaissait pas superficiellement.
A une époque où son camp était fort silencieux, il était devenu, par la force des choses et de son verbe, l’un de ses porte parole les plus brillants. On lui reprochait souvent de dire tout haut des choses que tout le monde taisait. Il n’en avait cure. Avec Péguy, il voulait toujours dire ce qu’il voyait, et, chose plus difficile, voir ce qu’il voyait. Le camp des mondialistes, qui passait son temps à dire au peuple qu’il ne voyait pas ce qu’il voyait, le haïssait pour cette raison.
Comme ses pamphlets étaient des succès, on avait essayé de lui interdire de parler. On l’assignait à en justice pour un mot mal placé (délit de penser), on lui arrêtait ses chroniques radiophoniques (délit de parler). Comme en France tout finissait par des chansons, un ménestrel avait même fait un petit poème dans lequel il demandait qu’on l’agresse physiquement. Il plaida la caricature, mais le publiciste fut, plusieurs fois, pris violemment à parti dans la rue (délit de se déplacer).
On lui avait surtout reproché de ne rien proposer. C’était confondre débat intellectuel et mesures de politiques publiques, mais tous les arguments rhétoriques étaient bons à prendre. « Il dénonce, mais il n’a aucune alternative à offrir » était devenu une sorte de slogan destiné à le faire taire. C’était mal le connaître ; il s’était mis proposer.
Le petit Eric, car tel était son nom, était ébloui par Napoléon. Il avait lu, adolescent, tout Castelot, et ne s’était jamais arrêté. Il connaissait son empereur sur le bout des doigts. Il pouvait dire, à brûle pourpoint, quelle était sa taille exacte (cinq pieds, deux pouces et quatre lignes selon les écrits de son valet, Louis Constant Wairy), ce qu’était la bonapartine (surnom moqueur donné au baccalauréat), ou pourquoi il trichait aux cartes à Saint-Hélène (« je ne triche pas, simplement je ne laisse jamais rien au hasard»).
Et, depuis le temps qu’il observait la vie politique française en générale et la vie à l’Élysée en particulier, il avait fini par s’y voir. « En France, disait-il, publicistes et politiques sont toujours liés. Voyez Thiers, voyez Lamartine, voyez Clemenceau».
Il avait le modèle, le public, les connaissances : il n’y avait aucune raison qu’il n’essayât pas. Après tout, quand on voyait les derniers membres de la dynastie en cours, n’importe qui semblait pouvoir y arriver. Et si n’importe qui pouvait y arriver, pourquoi pas lui ?
Et voilà que depuis quelques mois, en son salon, il lançait des petits cailloux. Il avait par exemple pris tout le monde à contre pied sur la question du chanvre. Conservateur comme il était, tout le monde s’attendait à ce qu’il soutienne la pénalisation pour le vendeur comme pour le consommateur, assorti d’une peine au bagne en prime. Point ! Il prit la défense de la légalisation. Il estimait que c’était le seul moyen de mettre fin au trafic dans les territoires perdus de la république. En réalité, il testait ses premières tactiques.
Plus tard, on le vit spécialiste des réseaux sociaux. Il citait désormais les influenceurs les plus en vue de son milieu en les assortissant d’un « mon ami » pour montrer qu’il pouvait en être. Sa présence sur les réseaux devenait d’ailleurs plus insistante. Il se montrait, on le citait. Il y avait même un mouvement de jeunesse qui se réclamait de lui et qui le suppliait de se présenter.
La preuve que quelque chose se préparait ? On vit en cette première semaine de juin une série d’articles négatifs à son sujet. Sans raison, plusieurs publications écrivirent des papiers sur une possible candidature du petit Eric. Pourquoi ? Par intérêt, peut-être : c’était un bon client qui amenait des clics mieux que n’importe qui. Mais par précaution, certainement : le petit milieu prévoyait déjà une possible candidature, en tous cas un poids politique certain dans la future campagne qui commencerait après l’été : il fallait étouffer cela aussi vite que possible, afin que rien ne perturbât le scénario déjà prévu.
Le réel n’aimait rien moins que les personnes intelligentes qui avaient tout prévu à l’avance. A un an de l’élection du nouveau roi, tous le monde pensait le résultat déjà acté ; c’est donc que les jeux étaient parfaitement ouverts.
(à suivre…)
Image : Les Merveilles de l’Industrie, Louis Figuier.