Chronique du royaume de France en l’an 2021, par le Sieur Olivier Bertrand de Saint Vallier, historiographe, abstracteur de quintessence publiciste.
La semaine commença par un léger mal de tête.
Depuis que les terrasses étaient réouvertes, le rosé coulait à flots, accompagné de force bières et pastagas. Les Français, heureux d’être à nouveau libres, redécouvrait la gamme des produits nationaux à base de sucres fermentés.
Dimanche, on fit donc la grasse matinée, puis on se rendit à la messe, et on acheta le gâteau traditionnel à la boulangerie. Et voilà qu’on découvrit alors, sur ToiTube, une vidéo étonnante. Deux saltimbanques endimanchés, portant leurs plus belles combinaison Chemises en T – Paniers rendaient visite à sa Présidentialité.
Ils étaient parmi les meilleurs du royaume, appréciés par la jeunesse surfeuse, et, par capillarité, par leurs pères, leurs mères, leurs frères et leurs sœurs, et tout le reste de la daronnie en prime.
Le jeu était simple : concours d’anecdotes. Certaines sont vraies, d’autres sont fausses : à chacun de trier le bon grain de l’ivraie. Il s’agissait de mentir et de paraître convaincant : le président était à l’aise avec cet exercice qu’il maîtrisait parfaitement.
La première anecdote racontée par le président semblait limite. McFly commenta : « Eh ! frère ! j’ai eu peur qu’il nous mindfuck la tête. » On pensa aussitôt à l’anthologie de la poésie par le président Pompidou. L’Académie se réunit quant à elle en session d’urgence pour déterminer s’il fallait écrire « mindfuck » ou « mindfucke » avec un [e] étant donné qu’il s’agissait d’un subjonctif.
On continua à aligner les anecdotes. Tantôt amusantes, tantôt terrifiantes, mais toujours pleines de belles leçons édifiantes. Le président, dont le vocabulaire était digne du protecteur de l’Académie française qu’il était, glissa une allusion à Cambronne ainsi qu’un hommage au plus vieux métier du monde. McFly dansa ; Carlito tança ; le montage accéléra.
Carlito le bien-nommé annonça face caméra : « tout est spontané, tout est vrai ». Mais dans un jeu qui consiste à démêler le vrai du faux, disait-il vrai ou faux ? Mise en abyme complexe.
Enfin, alors qu’on était à trois contre quatre, on énonça la possibilité qu’un groupe de ménestrels se trouve côté cour, au fond du jardin. Le président accepta d’aller voir ce qu’il se tramait.
En chemin, McFly, en bon saltimbanque, amusa le président d’une roulade. Ce dernier, enjoué, se lança dans un de ces raisonnements dont il avait le secret, plein de dialectique fine et de syllogismes subtils.
« Si il n’y a rien au bout, j’ai perdu net, mais de toute façon je me prends mon gage et si j’ai raison au mieux j’égalise et vous acceptez de perdre le vôtre. Donc je trouve ça élégant. »
McFly, amphigourique : « Je n’ai même pas compris ».
Il avait tout compris.
Alors on vit, dans le fond du jardin où s’étaient avancé de Gaulle et Mitterrand, une scène improvisée. Un petit groupe de ménestrels nantais, connus sous le doux nom d’Ultra Vomit (en latin : ultra vomitus) jouèrent une sérénade.
Neuf heures plus tard, la vidéo avait été vues par quatre millions et demi de personnes.
Celle-ci à peine diffusée, on vit une tornade de commentaires négatifs.
Un publiciste : « globalement pénible à regarder ».
Un spectateur : « On n’a tout de même pas encore atteint le fond. Caligula n’avait-il pas nommé son cheval consul ? »
Un ancien ministre : « Le «concours d’anecdotes» qui s’est tenu à l’Élysée finit de saper la verticalité du pouvoir et de déconstruire l’État »
Et la liste continuait, ad nauseam (à cause du groupe de ménestrels probablement).
Le point commun ? Ils avaient tous plus de vingt-cinq ans, et venaient de voir nos deux compères saltimbanques pour la première fois. Sans compter qu’ils étaient chagrins de ne pas avoir eu droit à leur passe culture de trois cents euros, cadeau de Jupiter à ses enfants devenus majeurs, afin qu’ils se souvinssent de lui le jour des élections. Qu’à cela ne tienne, la route était encore longue jusqu’à l’élection, chaque segment de l’électorat recevrait son dû en temps et en heure.
Une telle aventure éclipsa le reste de l’actualité pour plusieurs jours. A côté, tout paraissait fade.
L’origine du corona, fuite de laboratoire ou pangolin rigolard ? Bof. Agriculteurs en colère ? Passons. Augmentation de trente euros pour certains professeurs ? Ça n’intéressait personne.
Autant en emporte le vent et les publicistes. Car cette même semaine, il y eut une épidémie de départs. Depuis le grand enfermement, les Français consommaient leurs écrans avec encore plus d’appétit. Les chaînes d’information continue étaient devenues de petites musiques qui fonctionnaient toute la journée et souvent toute la nuit dans les maisonnées. Pendant les pics de l’épidémie, on y disséquait chaque mouvement de la courbe, chaque tressautement des chiffres et on pérorait à longueur de plateaux sur les gestes à effectuer, l’état des hôpitaux et les différents traitements possibles. Merveille que ce pays qui avait formé soixante millions d’épidémiologistes en à peine un an !
Et voilà que, pris par un vent soudain, on quittait les plateaux à tour de bras. Une députée, invitée sur une chaîne israélienne à commenter l’actualité dont elle avait pris connaissance en lisant une note griffonnée sur une nappe à carreaux, à cours d’arguments, se leva et mit les voiles. Laurent Joffrin de la Libération fit de même, manquant de s’emberlificoter dans son micro. Même Pascal Praud de la Cénouvelles menaça de quitter l’émission qu’il animait pourtant !
C’était comme si l’appel des terrasses et du rosé était plus fort que l’appel des plateaux. En ce moi de mai, le royaume avait les révoltes qu’il pouvait.
(à suivre…)
Image : Mediatèca-Occitana, CC BY 2.0 https://creativecommons.org/licenses/by/2.0, via Wikimedia Commons