Chroniques du royaume en l’an 2021, par le Sieur Olivier Bertrand de Saint Vallier, historiographe, abstracteur de quintessence publiciste.
Il y avait au pays du lait et du miel une plaie qui saignait depuis trois mille ans. Déjà à l’époque de Samson, les Israélites étaient aux prises avec un ennemi qui portait le nom de Philistins et qui ne supportaient pas leurs voisins. Ils menaient une guerre sans relâche depuis leurs places fortes, dont l’une s’appelait Gaza.
Quelques jours plus tard, ou quelques millénaires plus tard, dans la région ça n’avait pas de grandes différences, la guerre avait repris. C’était toujours le même enjeu : dénier aux Israélites le droit d’être là, et c’était toujours, en partie, les mêmes acteurs.
Les intellectuels français faisaient une petite poussée de nuancisme. C’était une affection qu’on attrapait dans le royaume en général vers douze treize ans, lorsqu’on commençait à pratiquer la dialectique. On apprenait à construire des plans en trois parties (thèse, antithèse, synthèse) dans lesquels on explorait une questions sous des jours contradictoires. On partait du principe que la réalité était complexe, qu’elle demandait à être embrassée sous divers angles et que personne n’avait le monopole de rien. Ni de la vérité, ni du juste et surtout pas du bien.
Or voilà que la guerre qui se déroulait entre Israël et Gaza était d’une limpidité morale totale. Les chefs du hamas, un groupe reconnu comme terroriste par la France, balançaient depuis une semaine des milliers de roquettes sur les civils d’en face. Et voilà que l’état hébreu répondait. Scandale !
On appelait à la retenue, à la désescalade, à la médiation. En dehors d’Israël, chacun voyait midi à sa porte : les partisans d’une solution à deux états expliquaient pourquoi il fallait encore plus une solution à deux états, les anti-Nétanyahou expliquaient pourquoi Netanyahou avait commis la pire erreur de sa carrière (peut-être même de toute l’histoire du cosmos), les antisémites expliquèrent, comme en leur habitude, qu’ils n’étaient pas antisémites, juste antisionistes, et que ça n’avait rien à voir. Que l’état hébreu soit habité par six millions de Juifs ne semblaient pas les émouvoir outre mesure.
Dans le pays, les habitants prenaient leur mal en patience. Ils couraient se mettre aux abris à chaque nouvelle alerte, et remerciaient Dieu d’avoir donné la sagesse aux concepteurs du dôme de fer, qui recouvrait le pays comme d’une aile délicate. Là, il n’y avait pas d’atermoiements face au hamas. On savait qui ils étaient : face à des gens dont le projet politique est un génocide, difficile de négocier. Et on se souvenait qu’en hébreu biblique, le mot hamas signifiait « violence » et que c’était ainsi qu’était qualifiée la terre dans l’histoire du déluge : la terre était emplie de hamas, aussi Dieu envoya-t-il le déluge.
Plus Israël marquait des points et détruisait des infrastructures terroristes et envoyaient leurs chefs rejoindre leurs pères, plus la « communauté internationale » s’émouvait. Un cesser le feu se profilait à l’horizon. C’était le mieux qu’on puisse espérer. Tout était petit en ces temps troubles, même l’espoir.
Alors le 19 du moi de Mai arriva, et, dans le ciel de France, on entendit les chérubins chanter. Ils entonnaient un air de feu Charles Gounoud : « buvons, trinquons, et qu’un joyeux refrain nous mène sans fin, nous mène sans fin ».
Les terrasses étaient réouvertes : gloria !
Le signal avait été donné par sa Présidentialité, qui s’était rendu en un troquet parisien afin de prendre son petit noir. Son équipe de propagandiste avait soigné la mise en scène. Le président était assis à côté d’une treille, rappel subtil des gestes barrières ! L’équipe était béate devant son propre génie.
On poussa un garçon de café en direction de sa présidentialité. La jeune femme avança timidement avec la commande. Elle ne savait pas où se mettre. On avait dû lui dire qu’il ne fallait pas rester dans l’angle de la caméra, et voilà qu’elle avait bêtement oublié où elle se trouvait.
Le président, fringant, bronzé, aussi nonchalant qu’avenant, ôta son masque. Lui, pourtant premier épidémiologiste de France, semblait tout autant troublé par cette liberté retrouvée, qu’il n’avait au demeurant, en tant que premier des Français, jamais tout à fait perdue étant donné qu’aucune des règles ne s’appliquait à sa majestueuse personne.
Ému de se retrouver mêlé au bas peuple, il en oublia les gestes essentiels. Il toucha l’extérieur de son masque plusieurs fois, le plia en deux pour le ranger, et se passa même la main directement sur la bouche sur être passé par la case gel hydroalcoolique.
On entendit des étudiants en première année de médecine s’évanouir devant tant de nonchalance, mais le coup d’envoi était donné. Café, journal et on tombe les masques.
Les piailleurs étaient en verve. On sortit un dessin de presse : « Les bistrots (et leurs piliers) sont de retour ; le dessin montre un homme passablement aviné qui dit ; moi je vais te dire ce que c’est le vrai problème d’Israël ». Un autre nota « je suis terrassé ». Un troisième « ma fille me dit à l’instant qu’à Saint Étienne les terrasses sont pleines et ils sont tous bourrés comme des coings ». Retour des terrasses et de la poésie gauloise.
Dans les villes, elles furent prises d’assaut. On avait réservé depuis des jours déjà les meilleurs emplacements. Toute la boborie macronienne était de sortie dans les beaux quartiers de Paris. Dans la France périphérique, on se réjouissait de pouvoir aller au fast food ou au bar du coin. Dans la France rurale, on expliqua que de toute façon, des restaurants et des cafés, ici, ça faisait longtemps qu’il n’y en avait plus. On se consola en buvant l’apéro dans les vignes et en se disant que sans elles, les bobos sus-cités n’auraient rien à boire.
A vingt-et-une heure, on vit débarquer dans plusieurs endroits les forces de police. Place de la contrescarpe, qui était un repaire de terroristes notoires, tendance pastaga olives, ils vinrent avec des armes de guerre. On n’était jamais trop prudent : ils arrivèrent également masqués.
L’image disait tout de l’époque. Elle superposait toutes les réalités avec lesquelles il fallait composer. Le corona, qui était à l’origine du couvre-feu ; les attentats, qui expliquaient l’armement lourd de la police ; le confinement, qui expliquait la lassitude des gens et leur soif de rosé et de convivialité ; l’impuissance de l’État enfin, qui envoyait la police armée pour une terrasse, mais qui avait renoncé à intervenir dans mille enclaves qui émiettaient le territoire national.
En haut, les anges continuaient néanmoins : « buvons, trinquons, et qu’un joyeux refrain… »
(à suivre…)
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