Ep. 9 : Du poumon et des clairons

Chroniques du royaume de France en l’an deux mille vingt et un, par le sieur Olivier Bertrand de Saint Vallier, historiographe du royaume, abstracteur de quintessence publicisite.

La semaine commença par un hommage à Jean-Baptiste Poquelin.

Dame Pulvar était une ancienne publiciste, qui se présentait au suffrage universel dans le domaine royal. Elle était connue pour ses lunettes en forme de pare-brise de carrosse et pour sa maîtrise du vocabulaire post-woke.

Il y avait cependant réunion de crise au quartier général. Elle était à la traîne chez les haruspices, qui interrogeaient quotidiennement la vox populi. Dame Pécresse était largement en tête et gagnait dans toutes les hypothèses au second tour. Dame Pulvar était à peine à dix pour cent et la campagne sembler rester rase.

Un factotum leva le doigt ; il avait une idée. Il fallait, à tout prix, la remettre en une des médias.

Comment ?

Le factotum marqua un temps d’arrêt pour ménager la surprise et dit :

– Comme Molière.

Incompréhension dans l’auditoire. On prend un nom d’emprunt et on déménage aux Italiens ? En quoi est-ce que ça allait aider à gagner le domaine royal ?

Le factotum ajouta :

– Il faut faire comme dans le malade imaginaire : le poumon.

– Le poumon ?

– Le poumon ! En toutes choses, répondez ainsi.

On tendit à la candidate une petite fiche sur laquelle était écrit en gros caractères les deux mots magiques de la semaine : « réchauffement climatique ».

– Et ? demanda l’intéressée, surprise par la formule lapidaire.

– Et c’est tout. Le poumon, vous dis-je !

Le jour de l’entretien arriva. C’était une émission fort courue où l’on savait le publiciste mou : il ne relancerait que sur des questions mineures et certainement pas sur le poumon.

Le publiciste demanda, fort en colère, pourquoi la gauche n’arrivait plus à parler aux classes populaires. Comment se faisait-il qu’elles fussent passées en grande majorité chez l’Amirale ?

Dame Pulvar prit une grande inspiration : c’était le moment de faire la démonstration de ses talents d’actrice. Elle murmura in peto un petit mot pour s’encourager et déclara : « ce qui se passe avec le vote des extrêmes, ce qu’il se passe avec l’abstention, c’est la traduction…

[elle cherchait le mot]

concrète…

[nouvelle hésitation]

démocratique, ou antidémocratique…

[geste de la main qui fend la bûche du scepticisme]

c’est la traduction des effets du réchauffement climatique ».

Voilà, c’était dit.

Elle même n’y croyant pas, elle ajouta aussitôt : « je sais que vous allez trouver cela éloigné ».

Le publiciste se mordit la joue jusqu’au sang pour ne pas éclater de rire. Prenant un air très sérieux, il demanda : « mais quel est le lien avec la sécurité ? La gauche a négligé la sécurité ! »

Dame Pulvar : « ça n’est pas qu’une question de sécurité ».

Tout en elle voulait hurler : « le poumon! Le poumon vous dis-je ! »

Elle se savait cuite ; elle attendait avec impatience d’être battue pour enfin pouvoir prendre des vacances.

Arriva le 10 du mois : cela faisait quarante ans que le quatrième président de la cinquième avait été élu.

Toute l’ancienne garde miterrandôlatre se disputa pour lui rendre hommage.

L’un piailla : « 40 ans, putain, 40 ans… Heureux d’avoir connu ce moment historique et la période d’euphorie qui s’ensuivit ». On se demanda de quelle euphorie il s’agissait, tant il y avait de possibilités : la dévaluation ? Le contrôle des changes ? Le tournant de la rigueur ?

Un baron sans baronnie écrivit : « Ce 10 mai là, le soleil ne s’est pas couché. Et depuis, il brille toujours à l’horizon : c’est possible, ce sera beau de nouveau. La force soit avec nous ! » De quoi parlait-il ? Il l’ignorait. Il avait joué au jeu de l’écriture automatique avec l’inintelligence artificielle de son téléphone : il avait juste écrit « ce 10 mai là » et il avait ensuite complété avec les suggestions de l’algorithme. Il avait été candidat hologramme, il s’agissait de maintenir le cap.

On s’étonna que le 10 mai devint ainsi une date historique, alors que l’élection de tous les autres présidents de la dynastie n’était pour ainsi dire jamais mentionnée. Il faut dire qu’ils étaient également du centre ou de droite. Un publiciste fit remarquer que l’hégémonie culturelle de la gauche était remarquable : arriver ainsi à imposer son agenda, quand au final, seulement vingt-cinq pour cent des français s’identifiaient encore comme de gauche. En réalité, droite, gauche, centre, plus personne ne savait où aller.

Pendant ce temps-là, à Stalingrad, une nouvelle bataille s’était ouverte. Il ne s’agissait pas de la ville soviétique, mais de la station de métro parisienne, où les vendeurs de crack avaient organisé une petite république bien à eux. Ça ne rapportait pas beaucoup : à peine cinq mille euros par jour par point de vente, bien loin des cinquante mille que vous offrait une petite échoppe de chanvre dans un coin huppé d’un quartier du neuf-trois.

Mais que voulez-vous ? Les temps étaient durs, les familles à nourrir, nombreuses, et il n’y avait pas de sot métier. Certains vendaient des téléphones portables, d’autres des concombres, pourquoi ne pourrait-on pas vendre du crack ? D’autant qu’il y avait de la demande. C’était la société de consommation qui dictait cela : partout où le marché s’était introduit, les forces de l’offre et de la demande étaient à l’œuvre. Le libéralisme acharné : voilà l’ennemi. Les dealers de crack étaient des victimes de sa loi d’airain.

Les habitants, qui n’avaient jamais lu de livres sur la critique de la société marchande, trouvaient que ça commençait à bien faire. Quelques semaines auparavant, il y avait même eu des tirs de mortier pendant la nuit. Qui visait qui ? Dans la nuit, on l’ignorait ; ce dont on était certain, c’est qu’en aménageant dans le dix-neuvième, on n’avait jamais imaginé que le spectacle son et lumière prendrait cette ampleur.

Alors les habitants, désemparés, abandonnés à la fois par la mairie et par l’état, essayèrent de faire entendre leur voix. Tous les soirs, ils commencèrent à se mettre à la fenêtre et à battre qui une casserole, qui une poêle à frire, qui un clairon. Du bruit pour essayer d’attirer l’attention. Du bruit pour que quelqu’un s’occupe d’eux. Du bruit pour pousser un dirigeant à faire son métier et à diriger. La version sonore des gilets jaunes, qui avaient enfilé une veste fluo pour que, eux aussi, on les voit. Pour qu’on les prenne en compte. Pour qu’en haut, on se soucie d’eux. Un peuple entier, invisible, périphérique, qui ne demandait qu’une chose : qu’on les aime à nouveau.

(à suivre…)

Image : https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/0/02/Fireworks%2C_The_World%27s_Fair_VI_MET_MM26171.jpg

Publié par Olivier F. Delasalle

Ecrivain. Cosmopolite enraciné. Gascon hébraïsant.

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