Chroniques du royaume de France en l’an deux mille vingt-et-un, par le sieur Olivier Bertrand de Saint Vallier, historiographe du royaume, abstracteur de quintessence publiciste.
Pour la première fois depuis des semaines, le royaume commençait à entrevoir une petite lumière à l’horizon. Le nombre de contaminés journaliers était en train de décroître tandis que le nombre de personnes à qui l’on avait administré la panacée suivait le chemin inverse : sa présidentialité commençait déjà à parler de la fin de l’enfermement.
Il rayonnait, il exaltait, il exultait : la campagne commençait.
Car voilà que dans un an, la France allait devoir se choisir une nouvelle tête. On piaffait dans les écuries partisanes. Tout impétrant était arrivé à la même conclusion depuis longtemps : la courbe de la grandeur des présidents était clairement sur une pente descendante en cette dynastie de la cinquième.
On avait commencé par le grand Charles : un mètre quatre-treize, suivi de son dauphin : un mètre quatre-vingt-un, et de l’accordéoniste : un mètre quatre-vingt-neuf. On gardait la grandeur, fût-elle au prix de compromissions à retardements.
On assista ensuite à une première chute. L’homme à la rose n’affichait qu’un mètre soixante-douze. Il essaya de se grandir de toutes les façons possibles, mais il finit en dévorant de microscopiques ortolans. Une génération plus tard, on se souvenait à peine de qui il était.
Son successeur à la pomme permit une petite remontée avec son mètre quatre-vingt neuf. Il aimait le pays, ses habitants et ses vaches, et ceux-ci lui en savaient gré. Il les avait également rendu fier par deux fois, en triomphant de situations qui paraissaient tragiques mais qui n’étaient que de carton pâte. Pendant quelques jours, le pays avait communié autour de l’écho du grand Charles.
Arriva alors la nouvelle génération.
Un jour de mai, l’homme à la pomme fut raccompagné par l’homme aux talonnettes en son carrosse et prié de débarrasser fissa fissa les ors du palais. Il n’affichait qu’un mètre soixante-huit et la taille était une question qui le travaillait journalièrement. Il exigeait qu’on installât un petit escabeau derrière ses pupitres, ou que son épouse, qui le dépassait de plusieurs doigts, ne portât que des chaussures plates. Tout le monde avait compris que la grandeur était terminée. Désormais, on ne compterait plus qu’avec la moyenne.
Le successeur conserva cette politique avec son mètre soixante-dix tout en rondeur, fraise tagada et pédalo. On sût à peine qu’il était là, si ce n’est pour faire le cirque en scooter avec sa maîtresse, dans un appartement qu’il visitait en secret non loin de l’Élysée. Tout ce dont on se rappelait, c’était la pluie qui le poursuivait partout. La pluie le jour de son inauguration, lorsqu’il avait remonté les Champs Élysées, stoïque, sans abri aucun. La pluie, lorsqu’il était parti voir la Chancelière germaine pour lui dire sa façon de penser et que la foudre était tombée sur son avion. La pluie encore lors de son déplacement sur l’île de Sein pour essayer de commémorer la grandeur, faute de l’incarner.
La pluie, la pluie, la pluie, à tel point qu’un journal grand-breton l’avait surnommé « Rain Man ». Le ciel de France pleurait de voir ce que le royaume était en train de devenir.
Alors Emmanuel vint, et, le dernier en France, fit sentir dans les cœurs une triste cadence. Il affichait le mètre soixante-treize, ce qui le plaçait clairement dans la deuxième moitié du tableau. Il avait fait campagne de façon surprenante, inédite, d’aucuns disaient : « rafraîchissante ». Il avait par exemple déclaré que la colonisation était un crime contre l’humanité (surprenant), que la France était une Start-up Nation (inédit) et que, bien sûr, il n’avait jamais vu de culture française, seulement des cultures en France (rafraîchissant !).
Il avait élu sur un critère de compétence (il était jeune et d’aucuns le trouvaient beau) et sur sa capacité à empêcher le chaos dans la rue, au cas où son adversaire aurait été élue. Ses thuriféraires avaient dit : « vous verrez ! »
On avait vu.
Devant son bilan, ses adversaires comme ses amis, tiraient tous la même conclusion : la course était ouverte, tout le monde pouvait y aller, n’importe qui pouvait gagner. Et comme ils savaient tous qu’ils étaient n’importe qui, chacun rêvait déjà de descendre les Champs Elysées sous les bravos, les hourras et autres vivats.
Les oracles travaillaient à temps plein. Il fallait les voir suer, s’agiter, scruter le moindre mouvement de la foule, pour l’interpréter de façon faste ou néfaste. Le seigneur remontait d’un point, c’est qu’il serait élu. Son adversaire principal marquait des points chez les manants de plus de quatre-vingt deux kilos, c’est donc que c’est elle qui serait élue. Mars entrait en conjonction avec Saturne dans le deuxième décan renversé ? Il y avait possibilité d’égalité.
Un journal publia une étude sur la validité des oracles à un an d’une élection. Elle conclut que pas un n’avait réussi à trouver le résultat. Le grand Charles avait été décrété vainqueur par plébiscite : il se retrouva en ballottage.
Dans le royaume, personne n’avait la tête à en changer. On répétait : qui pour prendre sa place ? et on se lamentait de la décadence générale.
On gardait surtout les yeux fixés sur la réouverture. Le ministre primus inter pares fit des annonces ; on ne l’écouta pas. On retint seulement que le couvre-feu continuait pendant une nouvelle quinzaine, et que baste ! on verrait ensuite.
On cherchait partout un signe d’espoir, un petit quelque chose auquel se raccrocher pour se projeter un peu plus loin et tenir en attendant la fin de la peste coronale.
Cela arriva enfin. Un jeune homme, fringant, éduqué, polyglotte et réellement modeste s’apprêtait à s’envoler pour l’espace. Il avait les bras larges : il allait porter avec lui les sourires de soixante-cinq millions de ses compatriotes. Il allait leur rappeler que oui, ils étaient capables de quelque chose de grand. On le vit dans une voiture, sur le tarmac, en combinaison. Sa femme, près de la vitre, émue, les mains sur la bouche pour un dernier baiser, ajouta : « à partir de maintenant, je te verrai sur un écran ». Il y avait là plus de sincérité qu’en quatre ans de communication politique feinte par tout ce que le royaume avait de metteurs en scène, en image, en ondes et en mots.
On demanda au jeune homme sa taille. Il faisait un mètre quatre-vingt-quatre. Chose extraordinaire, après six mois dans l’espace, il reviendrait grandi.
Le royaume en avait bien besoin.
(A suivre…)