Ep. 3 : De la secte des pigmenteurs

Chroniques du royaume de France en l’an deux mille vingt-et-un. Semaine du 28 mars : de la secte des pigmenteurs.

Voilà qu’il errait dans le royaume de France, d’étranges philosophes, qu’on appelait « pigmenteurs ». L’ensemble de leur philosophie tenait en un mot et un accessoire. Le mot ? Mélanine. Ils l’aimaient fort. L’accessoire ? Un nuancier, qu’ils exhibaient à tout bout de champ afin de savoir où se situait l’auditeur.

Le nuancier allait de Pantone 100 à Pantone 150, et l’on pouvait ainsi aisément savoir à qui l’on avait affaire.

L’événement de la semaine était le n-ième épisode d’une série à rebondissements.

Une guilde d’étudiants était depuis quelque temps dans le feu du projecteur de l’indignation. Il s’agissait d’une petite guilde qui enrôlait à peine deux pour cent des étudiants, mais qui recevait la deuxième plus grosse dotation de l’état, mécène généreux lorsqu’il s’agissait de flatter l’aile gauche du pays.

Le syndicat était historique : il méritait d’être mis au musée. Être son grand maître assurait pratiquement un beau maroquin. Les meilleurs étaient pantouflés à toute allure, les moyens devenaient, qui députés, qui sénateurs, les médiocres finissaient, comme il était de coutume en cette fin de cinquième dynastie républicaine, ministres.

Or voilà que la nouvelle grande maîtresse de la guilde était allée, un matin, discuter avec la publiciste Mabrouk. Celle-ci était une publiciste aguerrie, qui posait des questions directes et continuait à les répéter de façon courtoise jusqu’à ce qu’elle obtinsse une réponse. En ce temps et ce lieu, ce n’était pas banal.

Elle demanda de but en Pantone 11-0105 si il était vrai que la guilde s’adonnât en des réunions réservées strictement aux Pantone 1525 à 1545 . La grande maîtresse bafouilla. Elle essaya aussitôt de sortir son nuancier pour déterminer si la publiciste était vraiment en droit de poser la question, mais s’emmêla dans son masque, et ne put trouver de réponse adéquate.

Dame Mabrouk posa à nouveau la question. Et encore, et encore, jusqu’à ce qu’on comprit, enfin, entre deux babils, que oui, la guilde tenait bien ce genre de réunions.

Le spectre politique fut aussitôt cassé en deux, mais non en son milieu. Les deux dixièmes les plus rouges considéraient en effet depuis fort longtemps, que les huit dixièmes à sa droite étaient en réalité d’extrême droite.

De ce côté là on se mit donc à hurler que tous ceux qui remettaient en question la grande maîtresse et les pratiques de la guilde étaient de dangereux fascistes.

De l’autre côté, on avait l’habitude, et l’on écarta l’argument d’un revers de main : « tout ce qui est excessif est insignifiant », dit-on en ricanant. On s’indigna en piaillant et repiallant, heureux de savoir qu’un concert de cris d’oiseaux bleus était fort utile, mais en oubliant cependant, qu’en dehors de la volière, tout cela n’avait que peu d’effet.

Il y eut tout de même dans un minuscule coin de la toile, un débat qui essaya d’amener de la nuance. Les groupes de parole avaient pour but de permettre à des gens qui souffraient d’une difficulté, d’en parler entre eux. Pourquoi les pantones 1525 à 1545 ne pourraient-ils pas avoir eux aussi un groupe de parole ?

Sur ces entrefaites, Dame Audrey de Pulvar entra alors en scène. C’était une ancienne publiciste, qui, à force de fréquenter les politiques, avait fini par être énamourée d’un. Elle avait quitté sa carrière (à elle) et avait fini par rejoindre la sienne (à lui). Elle était candidate des Guelfes roses et briguait la tête du domaine royal. Celui-ci était pour l’heure aux mains des Guelfes bleus clairs, et d’une Comtesse qui exhibait ses pulls d’une façon tout a fait troublante.

Dame de Pulvar entra dans le studio en majesté. Grand seigneur, elle expliqua que la maîtresse de la guilde de l’UNEF avait tout a fait tord de vouloir séparer les pantones les uns des autres. Quelle idée ! Quel spectacle ! Quelle farfeluderie ! Les pantones 11-0105 devaient avoir accès aux salles, bien évidemment ; ils devaient juste se taire. La dame de Pulvar pensait ainsi montrer sa magnanimité ; elle était en fait chue dans le en-même-temps-tisme.

En cette semaine, le royaume pleurait le Sire Bertrand de Tavernier. Ce jeune homme de soixante-dix neuf ans n’était pas du goût des tribuns de la libération. Ils écrivirent un papier plein de fiel qui raillait le réalisateur, « incarnation d’un cinéma populaire et hélas pesant ». Le peuple s’en moquait. Cela faisait longtemps qu’il savait que les tribuns, de quelque côté qu’ils vinssent, n’étaient plus du sien.

On diffusa, pour lui rendre hommage, une des ses dernières œuvres. Il s’agissait d’un portrait acide d’un ancien ministre qui se prenait pour Héraclite et qui n’était même pas au niveau de Spirou. On lui savait gré d’un discours tenu au Machin, dans lequel il avait tenu tête à la volonté du président américain ; il s’était en réalité contenté de soutenir un dictateur ami qui se prenait pour la réincarnation de Nabuchodonosor.

L’une des répliques les plus amusantes du film tournait autour de l’obsession du dit ministre pour un plan en trois parties : « responsabilité, unité, efficacité ». Les mots évoluaient au fil de l’histoire, le ministre ne parvenant jamais à se souvenir par quels principes il était obnubilé.

Et voilà que trois jours plus tard, sa Majesté de la Macronie déclara qu’elle allait faire un discours. On piailla pour elle : « Mes chers compatriotes, Je m’adresserai à vous ce soir à 20h ». Majuscule après une virgule, cela commençait mal. Faute de frappe ou faute d’égo ?

Toujours est-il qu’on laissa fuiter quelques nouvelles, qu’on laissa incuber toute la journée, et, le soir venu, à vingt heures pétantes, sa majesté parla. Il était désormais intronisé « président épidémiologiste ». Un proche avait déclaré « ce n’est pas un sujet inaccessible pour une intelligence comme la sienne et au regard du temps important qu’il y consacre depuis plusieurs mois ». Tout ceci rappelait le gros titre d’une gazette satyrique, qui, visionnaire, avait titrée près de trois ans auparavant : « la condescendance d’Emmanuel Macron est maintenant visible depuis l’espace ».

Pendant toute la journée, les Français se demandèrent à quelle sauce ils allaient être mangé. Reconfinement généralisé du royaume ? Fermeture des écoles ? Attestation dérogatoire à la dérogation dérogée ? On profita de la journée comme d’un dernier jour de liberté avant l’enfermement.

Sa majesté Emmanuel 1er suivit un plan en trois partie. Grand Un : auto-justification. On a été géniaux. Grand II : les nouvelles mesures. Le virus n’a qu’a bien se tenir. Grand III : l’espoir. Pas celui de Malraux, mais celui de savoir que le grand Emmanuel libérerait ses sujets pour l’été.

Or voilà qu’au détour d’une phrase, il prononça les mots suivants : « pour la gestion de crise, trois principes : sécurité, équilibre, responsabilité ». Stupeur dans les foyers. Effondrement dans les canapés. Éclats de rire dans les salons. Sa présidentialité venait d’utiliser la formule du film ! Le président était nu, déshabillé par sa communication.

Le royaume entrait dans un nouveau mois d’enfermement. Soixante millions de Français soupirèrent à l’unisson.

(à suivre…)

Publié par Olivier F. Delasalle

Ecrivain. Cosmopolite enraciné. Gascon hébraïsant.

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